vendredi 18 août 2017

DE LA GRAINE DE POTENCE




Non-monsieur, je n’ai pas volé, je suis venu à pied.




Je vous ai apporté des bonbons : 




Je continue à égrener quelques souvenirs qui émergent des profondeurs de ma mémoire. Tiens… tout au fond là, j’en tiens un, qui tente de fuir, parce que  pas très glorieux. Nous sommes toujours dans les années de guerre. J’ai 8 ans et, comme je l’ai déjà dit, je vis seul avec ma maman, à Genève. Mes deux papas sont mobilisés –. Je vais à l’école à Plan-les-Ouates. En ces temps de guerre mondiale, la Suisse et Genève, vivent dans un îlot de paix, malgré quelques dégâts collatéraux, bombardements par erreur, restriction alimentaire (Plan Walhen: rutabaga, coupons d’alimentation, etc.) 

La Croix-Rouge sollicite souvent les privilégiés que nous sommes par des dons et des collectes. Ce mois de juin 1943 a lieu une collecte pour les petits enfants grecs, avec vente de timbres, organisés au sein des écoles par Pro Juventus. Chaque élève doit faire du porte-à-porte pour vendre le maximum de vignettes de la Croix-Rouge. 

Pour ma part je réussis à en vendre pour 90 fr. –, somme élevée pour l’époque. Estimant avoir bien travaillé, et que tout travail mérite salaire, sans trop réfléchir aux conséquences, je prélève la moitié de cette somme pour mon compte personnel, et vais derechef m’acheter un plein de friandises, bonbons, sucres d’orge, etc. sans oublier mon péché mignon… des tubes de lait condensé sucré N….  rien que de l’écrire, j’en ai encore l’eau à la bouche. Pour ne pas éveiller des questionnements par trop intrusifs, je visite la Coop du Bachet de Pesay, l’épicerie Chapuis et la boulangerie de Plan-les-Ouates, j’en ressors avec 2 grands sacs à commission pleins, hé oui… 45 frs, de cette époque, c’est beaucoup d’argent, de quoi manger une semaine à la maison.
     
Ah… le plaisir, de choisir sans restriction, sans limites, sans maman qui dit non. Mais pour moi la satisfaction la plus intense c’est la distribution durant la récréation de poignées de bonbons à tous mes camarades de classe. Tenez je vous ai apporté des bonbons (c’était bien avant Jacques Brel). Devant l’attroupement, et même l’émeute que cela provoque, je suis interrogé par le maître principal, qui me demande la provenance de cette manne providentielle; pris de court, je cafouille, je bafouille… c’est ma mère qui m’a donné l’argent, pas trop convaincu de ma réponse, le principal convoque ma mère pour confirmation, vous pouvez imaginer la suite. Un tsunami scolaire, c’est tout juste si je ne suis pas dénoncé à la police. Comme ce n’était pas ma première incartade – oui, il y a 3 semaines, j’ai sauté par la fenêtre de la classe située au 1er étage, par ce que le maître d’école voulait me taper sur les doigts avec sa règle – 
Ben oui, à l’époque c’était la règle.

Cette fois je suis renvoyé et finis ma scolarité à l’école du Grand-Lancy où d’autres aventures pas piquées des vers ou des hannetons… m’attendent.


L’Affaire des Dinky toys :


École du Grand-Lancy classe 1944




Ce jour-là, en sortant de classe à 11 h 30, je prends le tram juste devant l’école. Je vais au centre-ville, exactement au « Bazar de l’Hôtel de Ville » magasin de jouet, cher au cœur de tous les petits Genevois de cette époque. J’ai une passion, les modèles  réduits de voiture automobile de la marque « Dinky Toys », oui… oui, elles existent déjà en 1944.

Compter entre 1 et 2 Fr. pièce suivant les modèles (aujourd’hui elles se négocient plus de 150 € sur e-Bay). J’arrive aux alentours de midi devant l’entrée du « Bazar » situé rue de la Rôtisserie. J’ai une pièce de 5 fr. que je serre dans ma main, j’entre et me dirige droit vers la vitrine où sont alignés des dizaines de modèles de véhicules – voitures, camions, autocars, etc.  

J’ai les yeux rivés sur ces merveilleux objets en alliage de plomb, peint à l’identique, munis de vrais pneus, d’un pare-brise en Plexiglas. 




Pour la première fois je vois une jeep de l’armée américaine avec une étoile sur le capot comme on peut les voir dans les journaux ou aux actualités du « Cinébref ». 




Vous vous rappelez le Cinébref,  ce cinéma populaire des Rues Basses où pour 1 fr. vous pouvez voir en boucle, les actualités internationales et nationales, un Walt Disney ou un Charlot. Si vous rentrez par la porte de sortie située dans le passage Malbuisson, c’est gratuit ! Il suffit de mettre le pied lorsqu’un quidam sort. Cela m’est arrivé d’y rester plusieurs séances de suite.

Reprenons... Le Bazar, impatient, j’appelle une vendeuse, personne… tout à coup je prends conscience de l’étrange silence qui règne à l’intérieur du magasin.
Je regarde autour de moi, absolument personne, tout est désert. Pas de caissière, pas de client, interloqué, j’attends un moment, et crie plus fort :
– S’il vous plaît… Mademoiselle… Monsieur… y a quelqu’un ?
Seul le silence me répond.
À cet instant, je prends conscience que je suis seul dans le Paradis du jouet. Incompréhensible, ce doit être un miracle.
Déboussolé, je fais glisser lentement la vitre supérieure de la vitrine, me saisis de la jeep, l’examine dans tous les sens, et la pose à côté de l’énorme caisse enregistreuse« La Nationale ». 
Je retourne à la vitrine, là… un magnifique camion de pompier avec sa grande échelle attire ma main, je m’en saisis, et le pose à côté de la jeep.
J’attends, rien ne se passe… brusquement sans avoir rien prémédité, j’ouvre mon cartable en peau de vache, – que chaque écolier suisse porte sur le dos – et… le cœur battant la chamade, je me saisis au hasard, de tout ce qui me tombe sous la main, le tout disparaît pêle-mêle dans les profondeurs du cartable, je m’arrête que quand il est plein à ras bord, je le ferme soigneusement et le mets difficilement sur le dos… de dieu ! c’est lourd… ah oui c’est du plomb qu’il y a là dedans.
Je sors tranquillement du magasin, et reprends le tram en direction du Grand-Lancy. Plus le temps de rentrer à la maison, et de toute façon, ça ne serait pas possible, avec mon cartable qui me scie les épaules et me tire en arrière tant il est lourd.
En guise de repas, je m’achète un cornet de brisures à 20 centimes (spécialité de l’époque) à la boulangerie-pâtisserie en face de l’école.
À la cloche, en rang, je me rends en classe, comme d’habitude. 
Mes pensées ne sont pas à l’étude, une chose me tourmente que faire de mon butin. Je ne peux pas le ramener chez moi, d’abord c’est trop lourd, et j’ai 5 km à pied pour me rendre chez moi. Ensuite, que dire à ma mère, les cacher… non trop compliqué et risqué.
Finalement, une idée fait son chemin, je décide, bien à regret… de faire d’une pierre deux coups, organiser une vente aux enchères durant la récré avec mes camarades de classe. Du coup je me fais un peu de fric et je garde les plus beaux modèles pour moi, quand même…
– Venez les potes, j’ai quelque chose pour vous, je vide mon sac devant des visages ébahis… eh ben mon salaud ! t’as dévalisé les « Jouets Weber » (célèbre magasin de jouets connu de tous les Genevois) 
En guise de réponse :
– Allez qui en veut ? Moi… moi… des dizaines de mains s’avancent, stop… vous me donnez quoi contre ? 
– Tiens 20 centimes pour celle-là. 5 sous pour moi. Ma fronde contre le taxi. Non pas de centimes rouges, ça vaut rien. 50 centimes pour le camion, etc.etc.
Les bagnoles s’arrachent, s’ensuivent quelques bagarres qui se terminent avec la cloche qui sonne la fin de la récré.
La récolte a été bonne, je fourre tout ce barda dans ma sacoche, les sous disparaissent au fond de mes fouilles, et toute l’équipe rentre sagement en classe. 

Commence alors, une leçon d’arithmétique avec la terrible épreuve de la récitation par cœur et seul devant le tableau noir, du livret des multiplications, surtout celui de 7 et de 9 que j’abhorre.

7x7=49 – 8x7=56 – 9x7=63 ou 6x9=54 – 8x9=72. etc.

Pourquoi cette leçon juste à ce moment !
Ce qui devait arriver, arriva, les copains pas trop concernés, restés assis devant leur pupitre, sortent les Dinky et brouuum... brouuuum... roulent les toys sur le banc, sur l’abattant mobile en bois et même au sol entre deux rangées.
Le maître de cérémonie, M. l’instituteur Lefèvre, assis derrière son bureau haut placé, observe avec étonnement ce manège, lève son œil droit, sa spécialité qui marque sa mauvaise humeur… C’est quoi ce cirque, silence et rangez-moi ces... Ces machins ! élève Tissot, apportez-moi ce que vous tenez dans votre main.

Hou là… là, j’ai le sentiment que ça va se gâter pour ma pomme.
– C’est quoi ça ? 
– Un Dinky, quoi… ?
– Un dinky toy. 
– Vous parlez anglais maintenant.
– D’où vient ce... ces... jouets ?  
– C’est Blaise... msieur.  
– Blaise Le Wenk… lève-toi, c’est quoi ce bazar ? 
– Le « Bazar de l’Hôtel de Ville », msieur, à la rue de la Rôtisserie. C’est un magasin de jouets.
– Quoi ? que dis-tu ?
– Je les ai achetés au Bazar des jouets.
– Pour les distribuer à tes camarades, tu es très généreux, qui t’a donné l’argent... 
– Mon père, Msieur pour mon anniversaire. 
Là je m’enfonce.
– Bien, je veux tirer ça au clair, tu diras à tes parents que je veux les voir pour avoir confirmation de ton histoire. Allez rangez-moi tout cet attirail et reprenons. Tissot puisque tu es là, récite le livret de 9.
En attendent, je gamberge… comment je vais me tirer de ce mauvais pas. Pour le moment je ne vois pas d’issue favorable. J’ai volé et j’ai menti, aïe... je sens que ça va chauffer pour mes fesses. Pourtant j’entrevois une porte de sortie. – Ma mère n’est pas au courant, et mon père, le vrai… est en voyage – la confrontation sera retardée et peut-être même oubliée.
Ouf… je respire. À la fin de la classe, je vais trouver l’instituteur, et lui explique le plan que j’ai élaboré. 
– Blaise… je comprends, mais je veux quand même avoir une entrevue avec ta mère. – Bien, Msieur, je lui dirai, mais elle est très occupée vous savez !
J’ai quand même réussi à retarder la rencontre de 2 jours, mais devant l’insistance de Lefèvre qui ne lâche pas le morceau et qui menace de téléphoner à ma mère, je suis obligé à mon grand désespoir de lui faire part de la convocation avec Monsieur le proviseur  Lefèvre.
Je vous laisse imaginer la suite de cette entrevue, ou plutôt de cet interrogatoire pour aller à la conclusion. Je suis une nouvelle fois exclu de cette école. Mes parents vont devoir aller s’expliquer avec la direction du Bazar et probablement rembourser le préjudice.
Mais les choses ne vont pas se passer comme prévu. Ma mère et mon beau-père refusent d’assumer mes frasques et demandent à mon père Tobias de faire le nécessaire.
Là ils vont être servis. Tobias, mon père, pour lequel j’ai une admiration sans bornes, a plus d’un tour dans son sac, il a des contacts dans la police et avec des politiciens haut placés, je ne suis pas encore bien au courant, mais on dit qu’il a le bras long... Ah bon !.
Toujours est-il que Tobias apprend par sa source que Le Bazar a fait une fausse déclaration à la police comme quoi ils ont été cambriolés avec effraction, en réalité, c’est tout simplement la vendeuse qui a oublié de fermer la porte à clé pour la pause de midi. Ils ont même rajouté le vol d’argent pour toucher l’assurance. Tobias n’est pas quelqu’un de facile, il peut même être très violent dans certains cas – je vous raconterai –. 
Je ne sais pas ce qui s’est passé, mais il n’y aura aucune suite à mon larcin, pas de conséquence pour moi, juste quelques mots – t’inquiète pas j’ai arrangé ton affaire –, mais la prochaine fois fais gaffe.
Ça c’est de l’éducation… mon admiration pour mon père est encore montée d’un cran.
Ce qui n’empêchera pas mon exclusion de l’école du Grand-Lancy. 
Il parait que je suis un enfant à problèmes, et qu´il existe des établissements spécialisés pour des petits vauriens comme moi.
C’est ainsi que je me retrouve dans une école pour future graine de potence.
J’ai 13 ans, encore 1 an pour en avoir terminé avec l’école obligatoire.
Durant cette année je n’ai pas appris grand-chose en culture générale, je me suis fait de solides amis et quelques irréductibles ennemis, l’école de la vie, quoi… Je me suis aussi beaucoup bagarré, ma spécialité le coup de boule sur le nez, c’est imparable, le mec se retrouve avec le nez sanguinolent et de travers. 
La première fois, c’était pendant un match de foot. 

Celle-là il faut que je vous la raconte.

J’étais gardien des buts de mon équipe, le FC Chênois, faut dire que je fais déjà 178 cm. Il y a du vent, le centre avant de l’équipe adverse arrive à la hauteur du point de penalty, il stoppe sa course, se baisse et ramasse une poignée de sciure qu’il projette en l’air, J’en ai plein les yeux, je ne vois plus clair, tranquillement ce con… tire et marque. L’arbitre n’a rien vu et accorde le but. 

La sensation d’injustice provoque toujours chez moi, une brutale montée de colère et de rage, ni une ni deux je m’avance vers l’individu, lui tend la main, pour le féliciter et au moment où il s’approche… Pafff… Pifff… un coup de boule ! Tiens son nase prend un angle bizarre ! L’arbitre… çà il a vu, et il voit bien également que le mec il lui faut rapidos des soins d’un professionnel de la santé.

Les conséquences ont été multiples :
Je n’ai plus jamais joué au foot… dommage j’aimais bien. Je n’ai pas voulu m’excuser. Plainte a été déposée.
Comme c’était le fils du boulanger, ma mère a du changer de crèmerie.

Tobias une fois de plus va arranger les bidons.
J’ai été classé comme un individu dangereux et imprévisible sur mon c.v. de police, qui ma été ressorti des années plus tard, à l’occasion d’un séjour dans leur hôtel. (hôtel de Police - Bdl Carl Vogt -1202-Genève )

C’est comme ça que les mauvaises graines prennent racine. En les arrosant dès les premières années à l’aulne de l’injustice et de la partialité.





A suivre :













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